Blog #3 : Histoire de la clé dualo

Le cahier des charges du logo dualo

Lorsque Jules et Bruno créent la société DUALO SAS, le 31 décembre 2010, cela fait déjà un an qu’ils travaillent activement, notamment le soir après leur boulot respectif, à la professionnalisation du projet. Et depuis plusieurs mois déjà, le besoin d’avoir un logo qui porte visuellement le projet s’est fait ressentir.

La tâche n’est pas une mince affaire, et le cahier des charges élaboré à l’époque stipule bien que tout part du principe dualo :

  • séparation d’une gamme en deux parties, constituées chacune de 4 notes prises une note sur deux dans la gamme de façon alternative ;
  • chaque partie est alors une suite de tierces, qu’elles soient mineures ou majeures, et
  • par définition chaque partie forme donc un accord, c’est-à-dire un empilement de notes qui sonnent bien entre elles au sens de l’harmonie.

L’autre point important du cahier des charges était bien sûr qu’il fallait que cela évoque tout de suite la musique, voire si possible la lutherie ou la facture instrumentale.

A l’époque, début 2011, cela fait deux ans et demi que le e-dualo existe et qu’il a été mis entre les mains de plusieurs centaines de personnes, et Jules et Bruno sont déjà convaincus du potentiel pédagogique du clavier dualo. D’ailleurs sur les documents de l’époque, la baseline du projet est Dualo : Le chemin le plus court vers la musique.

Partant de l’idée que le but du projet est d’accompagner un musicien sur son parcours, de débutant à amateur voire professionnel, Jules, grand créatif, inventa une première série de logos, comme les pierres d’un chemin, ou les barreaux d’une échelle que l’on gravit.

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L’autre idée que Jules explora fut celle de la portée musicale, en s’appuyant toujours sur le principe dualo. En effet, lorsqu’elles sont représentées sur une portée, les notes des deux claviers dualo sont disposées comme sur le schéma ci-dessous : un clavier dont les notes sont sur les lignes et un clavier dont les notes sont sur les interlignes.

Jules proposa donc plusieurs logos autour de la portée, de l’alternance des notes entre claviers gauche et droit, et d’une forme pyramidale évoquant aussi la forme du e-dualo :

Plus qu’un simple logo, une véritable clé

Le cahier des charges fut finalement confié à un graphiste très talentueux, Julien Debyser, officiant sous le pseudonyme Ancre Noire. Ami d’ami de Jules et de Bruno, Julien faisait partie du collectif multidisciplinaire Sublastart, dont certains membres seront par la suite co-fondateurs du célèbre collectif La Gare XP, aujourd’hui encore bouillonnant d’activité, de militantisme et de créativité.

Julien, lui-même musicien, partit d’éléments comme l’ouïe d’un violon pour évoquer l’univers musical puis, réussissant à embrasser le projet dans sa globalité, proposa une clé musicale. Ainsi donc, Julien s’inspira des clés existantes pour créer une clé dualo, en s’appuyant sur la symétrie des deux tétrades : deux éléments identiques qui se rejoignent pour former un tout.

La pertinence du logo se retrouve notamment dans l’idée que le principe dualo décompose l’harmonie en deux parties, comme deux brins de nucléotides s’entrelacent pour former un brin d’ADN.

Grâce à sa fonction de clé musicale, la clé dualo permet aussi d’exprimer d’autres propriétés du principe dualo et du clavier dualo :

  • l’aspect transpositeur : sur un clavier dualo, un accord majeur possède la même forme, la même représentation géométrique sur le clavier, quelle que soit la tonalité de l’accord. On peut ainsi considérer que la clé dualo est universelle et peut être positionnée à n’importe quel endroit sur la portée ;
  • sur une portée musicale, les deux points de la clé dualo relient l’octave, appuyant le fait que la clé dualo peut être positionnée n’importe où sur la portée ;
  • par construction, l’un des points de la clé dualo est positionné sur une ligne, et l’autre sur un interligne, tout comme les notes d’un clavier dualo sont sur les lignes de la portée et les notes de l’autre clavier sont sur les interlignes.

A partir de la clé dualo, c’est tout un univers graphique que Julien Debyser créa, dont le logo à deux cercles permettant d’inclure graphiquement la marque dualo. L’inspiration, toujours musicale, était aussi organique, voire végétale, pour rappeler les matériaux des instruments traditionnels.

Finalement à travers le temps, le double logo fut de moins en moins utilisé, pour une version plus simple avec la clé seule et le mot dualo à côté.

En décembre 2021, pour marquer le passage de la société Dualo à la société Intuitive Instruments, pour moderniser et donner plus de dynamisme à la clé dualo, et plein d’autres raisons qui vous seront dévoilées plus tard, l’équipe Intuitive Instruments a décidé de confier le remaniement de l’identité graphique du projet à Océane Juvin, graphiste spécialisée en typographie et didactique visuelle.

Car il nous tient à cœur que la clé soit un élément en mouvement, qui évolue, et qui grandisse en parallèle du projet.

Nous vous conterons une autre fois les coulisses de la naissance de cette nouvelle clé et du nouveau logo dualo et nous avons hâte de vous dévoiler comment ils vont s’inscrire dans les projets en cours et à venir.

À la semaine prochaine,

L’équipe Intuitive Instruments.

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C’est toujours intéressant de comprendre les origines des logos !

Je n’avais pas encore croisé le nouveau, et c’est p’tet bien normal, j’y vois la représentation des notes dans le nom, et l’accentuation de l’entrelacement.

Félicitations aux 2 graphistes :smiley:

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Bravo, remarques très perspicaces, c’est tout à fait ça :slight_smile:

Pas le choix! :wink:

Outre ce que ça m’explique au sujet de ton entêtement, ça m’aide à comprendre la série d’exercices conceptuels qui nous mènent jusqu’ici.

Comme j’ai pas encore essayé un clavier dualo, j’ai encore de la difficulté à percevoir comment ça fonctionne en pratique. À part les tests mentionnés, qu’est-ce qui a été fait « sur le terrain »? Récolter des réactions diverses de personnes avec des parcours musicaux diversifiés, ça peut être bien utile. Y compris parmi les personnes sur la planète qui ne se cantonnent pas aux systèmes musicaux dits « occidentaux » (c’est-à-dire, la majorité de la population du globe). Donc, ce clavier a quel impact sur qui? Comment s’intègre-t-il dans des pratiques marquées par le pianocentrisme? Y compris dans des adaptations qui font sortir le clavier noir et blanc de son usage principal, par exemple dans le jeu de percus ou l’usage de clés d’alternance (“keyswitches”) pour des bibliothèques sonores du genre Kontakt? Maintenant que la diversité des systèmes d’accord se révèle à plus de gens qui musiquent avec des instruments électroniques, utile de savoir si la disposition des touches d’adapte bien hors du tempérament égal.
Et, un gros morceau: l’adoption d’une innovation est facilitée par de nombreux facteurs. Qu’est-ce qui peut permettre de passer de l’adoption hâtive à une masse critique?
D’ailleurs, un truc que je sais pas: ce clavier peut-il être utilisé par d’autres instruments hors d’Intuitive? Si oui, quelles démarches ont été entreprises pour favoriser cette utilisation? Sinon, comment peut-on rêver à un usage étendu si le clavier dualo est un « cul-de-sac évolutif »?

@bruno.intuitive @Serguei c’est quoi le e-dualo?

Dac. Je t’écris en message privé.

À peu près exact. Je m’intéressais à l’univers Dualo depuis quelques temps. Et j’ai entendu parler de l’Exquis un peu avant le début de la campagne, si je me rappelle bien. Par contre, je n’ai jamais mis mes mains sur un instru d’Intuitive et j’étais peu enclin à m’en procurer un avant l’Exquis.

La réaction « j’avais jamais pensé à ça », c’est le propre des remarques d’ethnographe. Autrement dit: “I get that a lot”. Et, dans ce cas-ci, c’est particulièrement normal que t’aies pas eu à penser à ces questions en tant que spécialiste de l’instrument. Je m’attends même pas à ce que ces mêmes questions se soient posées parmi les membres de l’équipe de Bruno. Par contre, si des réponses à des questions similaires ne sont jamais présentées chez Intuitive, ça peut expliquer un fossé entre la qualité de l’approche et son adoption relativement lente.

Parce que la question principale de tout ça, c’est: le dualo est une réponse à un problème vécu dans quel contexte?
Non, ça ne peut pas être une réponse à tous les problèmes de tout le monde. Et il y a toujours un contexte.

L’utilisation de certaines notes à une extrémité du registre d’un contrôleur pour déclencher une modification du son joué. Souvent utilisé pour les articulations (staccato, pizzicato, etc.) pour des émulations d’instruments acoustiques.
Ce que ça implique, c’est qu’il te faut deux touches pour une note. Et faut justement avoir un vaste registre.

D’ailleurs, lié à ça… je remarque une contrainte importante du clavier dualo, selon la page Wikipédia dédiée à celui-ci (qui, je l’espère, n’a pas été écrite par des gens d’Intuitive!).

En revanche, sur un clavier dualo , il faut utiliser les deux mains pour jouer des mélodies ou des suites d’accords ce qui interdit la possibilité de jouer deux voix indépendantes (accompagnement+mélodie) comme au piano par exemple ou à l’accordéon.

C’est assez majeur, comme contrainte! Surtout dans la pratique instrumentale où s’inscrivent les instruments d’Intuitive! Honnêtement, j’y avais pas pensé, même si c’était déjà un enjeu pour moi avec plusieurs de mes contrôleurs.

Donc on revient à des contextes d’usage. C’est pour qui? Quand? Les autres personnes jouent de quoi, pendant ce temps?

Côté ethnomusicologie, c’est évidemment un vaste sujet. Pas seulement les « musiques du monde » (comme si des musiques n’étaient pas « du monde »). C’est une approche de la diversité musicale… qui se retrouve facilement dans une même société.

(J’ai voulu faire un tour aux ateliers d’ethnomusicologie, la dernière fois que j’étais à G’nève, en mai dernier. En tant qu’Helvète de la Cinquième Suisse, j’aime bien retourner dans mes contrées ancestrales. D’ailleurs, j’y étais grâce à des gens de Tecfa, à l’UNIGE, pour un projet en Éducation ouverte et libre.)

Bon, revenons à la diversité musicale…
Truc important à bien situer: le tempérament égal qui domine l’électronique musicale (surtout depuis quarante ans) n’est qu’une formulation parmi d’autres de la musique tonale. Ce n’est pas vraiment ce que joue un ensemble vocal, un orchestre symphonique ou même un groupe de rock. C’est une approximation mathématique relativement récente basée sur ce qu’on appelle maintenant l’intonation juste. Oui, Collier remet ça au goût du jour parmi des personnes qui ont oublié. Non, ce n’est pas vraiment de la « microtonalité » puisqu’il s’agit de la façon de s’accorder qui vient plus facilement quand on joue en « système occidental » et qu’on s’astreint pas à des instruments électroniques comme des accordeurs. Même le piano n’est pas réellement en tempérament égal. Et, non, le tempérament utilisé par Bach dans Le clavier bien tempéré n’était pas équivalent au tempérament égal non plus.
(Ça, ça m’a pris du temps à le comprendre, honnêtement. Et ce sont les fioritures graphiques sur la page de titre du livret qui ont livré le secret du tempérament utilisé.)

Donc, pour revenir au piano. Selon mes observations, le pianocentrisme a un énorme impact sur la pédagogie et l’industrie musicales. Souvent insideusement. « C’est bien normal d’utiliser ce modèle pour la musique, c’est ce que ‹ les gens › connaissent. » Et autres « malgré tout, c’est l’instrument qui couvre le mieux ce qui est important puisque ce qui compte c’est l’harmonie et la mélodie ». Oui, on peut reproduire du Hip Hop, une version d’un raga ou du Heavy Metal au piano. C’est méconnaissable dans chaque cas. Si on n’entend que peu de différence avec l’original, c’est que notre écoute est biaisée. C’est pas une question de croire qu’un truc est mieux que l’autre. C’est une simple limite cognitive. Comme le fait de ne pas entendre les distinctions entre langues inconnues ou cette tendance à oublier l’importance de conditions climatiques diverses sur la tenue vestimentaire.

Comme tu le dis, @Clarinette, le pianocentrisme n’a pas le même impact sur la pratique musicale. Ce qui implique qu’il y a un fossé entre, d’un côté, une industrie et une pédagogie pianocentrées et, de l’autre, une pratique musicale débridée. Le « clavier » dualo peut être plus proche d’une pratique qui n’est pas tributaire du piano. Tout comme le clavier Janko ou le Dodeka. Ou même, comme je l’expliquais dans un autre fil, une simple grille à travers laquelle on désigne différente note. Avantage énorme: ces grilles sont largement disponibles. Du matos à moins de 100._ comme du logiciel gratuit ou presque. On peut l’adapter comme on veut. En 4x4, c’est le format MPC largement utilisé dans divers contextes. En 5x5, on reproduit facilement cette idée de rangées/cordes en quartes, avec un degré d’isomorphisme pour les accords. Avec du 8x8 ou 16x8, on s’offre un registre plus vaste avec certains dédoublements qui facilitent le jeu… ou permettent d’assigner certaines zones du contrôleur pour des déclencheurs du types “keyswitches”.

Revenons aussi à la diversité de l’accordage. C’est un fait que beaucoup de choses peuvent être gérées du côté du synthé. Après tout, le protocole MTS-ESP utilisé par Surge et plusieurs autres ne fait que recevoir des notes MIDI et assigne à chaque touche une valeur dans le système d’accord utilisé dans le contexte de jeu.
Ceci dit… Il y a beaucoup de choses qui peuvent se passer du côté du contrôleur. Non, pas avec une grille, justement. Ni avec un « piano expressif » Osmose. Même avec un Seaboard, c’est pas si évident. À l’extrême inverse, c’est ce qui rend le thérémine si difficile.
On n’a pas trouver la solution à ce problème. Dans ce que le prix Guthman récompense, c’est une préoccupation à peu près secondaire (probablement parce que l’expressivité polyphonique demeure un problème trop immédiat pour consacrer des efforts à autre chose). Comme tu le disais aussi, les gens finissent par se satisfaire de ce qui existe, que ce soit un piano ou un synthé basé sur le piano.

Pourtant, il y a des entreprises qui montrent de nouvelles voies. Par exemple, l’appli de moForte facilite le jeu hors du tempérament égal, avec de vastes glissements lorsque désiré. Et le mode Thunder à la Buchla, sur le Morph de Sensel, sortait facilement de l’association au chromatisme du tempérament égal. Autrement dit, il y a de l’espace pour un contrôleur qui n’est pas limité à envoyer des valeurs de notes MIDI de 0 à 127. Surtout avec MIDI 2.0 adopté en 2020 et toujours pas mis en pratique. (Mon petit doigt me dit que NAMM 2023 peut faire une différence.)

Autrement dit…
Le clavier dualo, c’est bien… si on sait pourquoi.

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OUI !!!

Et p… que c’est difficile de comprendre POURQUOI?
et aussi POUR QUOI?
et aussi POUR QUI?

Et finalement… COMMENT???

C’est totalement passionnant ce que tu écris… et y a des tas de trucs que je comprends pas. La musique éléctronique, j’y connais rien, et… mes oreilles aiment pas ça… bien sûr, il y a à boire et à manger dans la musique éléctronique. Mais globalement, mes oreilles classent ça quelque part entre bien sympa… vaguement écoutable à petites doses… et « à hurler »!

Ce que mes oreilles appellent de la VRAIE musique, elle est toujours faite par un humain. Soit avec sa voix, soit avec des instruments acoustiques.

IMNSHO… le dualo, l’exquis… et TOUTE LA MAO… c’est seulement des béquilles. Un mal temporairement nécessaire… utiles pour apprendre à s’harmoniser tous ensemble.

C’est même le SEUL moyen je pense.

my 2 cents

La façon dont les humains font de la musique évolue dans le temps. L’humanité est en train de s’harmoniser. Sur toute la planète.

Nos mômes, ils ont pas besoin d’adapter leur pitch en permanence pour survivre à la cacophonie ambiante. Alors ils ont le perfect pitch. Parce qu’ils entendent directement la musique.

Pour nous, les plus vieux, perfect pitch… ça aurait été un frein je pense. On avait seulement besoin d’une musique approximative… on était occupé par la révolution industrielle, le bruit des usines, des voitures, des tronçonneuses, des marteau piqueurs, des fusils, des canons, des bombes, des grenades, des avions…

Pour survivre à ça… nos oreilles… ils fallaient qu’elles nous aident à relativiser. En permanence. Alors elles ont abandonné le perfect pitch.

Mais c’est fini maintenant. On a plus besoin de canons, d’avions, d’usines, de tronçonneuse, de marteaux-piqueurs. Ce qui avait besoin d’être construit l’a été. On a l’internet et toutes les technologies nécessaires pour s’installer dans l’ère de la coopération… avec les 10 milliards autres humains…

On peut démonter les échaffaudages, arrêter l’escalavage salarial et revenir à nos moutons. Les prochaines décénies, on a besoin de les passer à reconstruire du lien social, à jardiner la résilience et l’autonomie alimentaire. Et à faire de la VRAIE musique. Chez nous, entre voisins. Avec nos enfants, nos vieux, nos malades…

Le DUALO, il sert à ça. A rééduquer les oreilles fatiguées des vieux occidentaux pour reconquérir le perfect pitch…

Let Jacob Collier show us the way
And Ben Glover and Mac Phee show us how…

Dans l’immédiat, nous les vieux occidentaux, on a besoin du dualo… pour (ré)apprendre à jouer des instruments accoustiques… et puis à terme, on aura même plus besoin d’instruments pour faire de la musique… on fera la musique comme et avec les oiseaux… et les baleines, les dauphins, les arbres et les coquelicots…

Il y aura t’un jardin qu’on appellera la terre…

oh :heart_eyes:

ça m’avait échappé à la 1ère, 2ème et 3ème lecture…
musiquer…
c’est vraiment très joli comme verbe

il nous manquait ce verbe là
c’est ta trouvaille?

Musiquer… c’est joli comme ouïr… au présent…

Marc Vella il fait remarquer que jouï… c’est le passé simple du verbe ouïr… à la première personne du singulier…

Au présent on dit j’oie ^^

Non. Ça existe en français depuis bien longtemps. Gilbert Rouget l’a utilisé dans La musique et la transe. En anglais, c’est Christopher Small qui est connu pour Musicking (qui existait aussi en anglais depuis des lustres).
J’en parlais il y a quelques années dans un article anthropologique sur le bricolage sonore.